Lamalie présente la nouvelle n°6 :

 

Présence du futur

ou

La fontaine

 

 

Depuis quelques temps, voilà, je sais ce qu'il se passe. Je crois que j'ai compris. Ces drôles de choses que je ressens, que j'observe en moi et sur moi. En moi, pas facile à expliquer mais sur moi, ce qui coule sur mon visage, c'est déjà plus tangible et ça aide bien à qualifier. J'ai donc trouvé ce qu'il se passe et comment le dire. Je me transforme en fontaine. C'est ça, c'est le mot. Je deviens fontaine. C'est un joli mot fontaine. C'est un très joli mot. Si c'est ça que je deviens, alors c'est pas mal. Devenir un joli mot, c'est beau. C'est déjà ça.. Parce qu'au-delà du beau du mot, c'est étrange de devenir fontaine. On dit "Il ne faut pas dire : fontaine je ne boirai pas de ton eau". Mais pour moi, c'est une évidence puisque c'est moi la fontaine. Donc je ne peux pas ne pas boire l'eau de cette fontaine. Si la fontaine, c'est moi, son eau c'est moi également. Son eau.. Bien sûr son eau. Si je dis que je deviens fontaine, ce n'est pas la pierre qui entre en compte, c'est bien l'eau. Pourtant je n'ai pas dit source. J'aurais pu dire source après tout, j'aurais pu penser, voilà, j'ai trouvé, je me transforme en source.. Mais ce n'est pas de ça dont il s'agit, j'ai bien dit et pensé et ressenti fontaine. Pourquoi ça ? Quelle différence exacte entre source et fontaine ?

Source (n.f.) : 1. Lieu d'émergence à la surface du sol de l'eau emmagasinée dans une nappe aquifère souterraine. 2. Ce qui est à l'origine de quelque chose ; principe, cause. *

Fontaine (n.f.) : 1. Source d'eau vive qui jaillit du sol naturellement ou artificiellement. 2. Edicule de distribution d'eau, comprenant une bouche d'où l'eau s'écoule et, généralement, une vasque ou un bassin de réception ; édicule semblable, monumental et décoratif. *

La source pourrait correspondre aussi en fait. Dans sa définition, la première. Mais c'est vrai que dans source il y a clairement cette idée d'origine, de cause, et c'est sans doute ça qui n'intervient pas dans ma déclaration de transformation en fontaine. L'idée qui prime est bien l'eau qui jaillit, pas une autre idée, que l'on pourrait rapprocher en deuxième temps. Voilà pourquoi je n'ai pas dit source. Pour la définition de fontaine, en ce qui me concerne, précisons que sur mon visage, ce n'est pas de ma bouche que jaillit l'eau, mais quelle importance ? Là aussi, ce qui compte ce n'est pas l'origine d'où sort l'eau, c'est l'eau en elle-même et le fait qu'elle coule, ou qu'elle s'écoule d'ailleurs. Sinon, bien sûr, l'idée du monumental et du décoratif dans la définition de la fontaine me plaît beaucoup aussi. Même si là, de la même manière que l'idée de l'origine pour la source ou l'idée de l'origine géographique du jaillissement pour la fontaine n'étaient pas incluses dans ce que recouvrait mon idée de fontaine, là non plus l'idée de la beauté de l'édifice qu'est la fontaine n'a rien à faire ici. Pourtant si. L'idée de beauté est importante. Puisqu'une des premières choses que j'ai dites était que je trouvais ce mot de fontaine très joli. Alors si. Je conserve cette idée et donc ce lien entre le mot et la chose, je conserve l'idée de beauté.
Voudrais-je dire par-là que devenant fontaine, je fais jaillir l'eau et je deviens belle ? Sourire.. Il faut bien se faire sourire.. Le sourire continue..
Si je reviens sur l'idée de l'eau.. L'eau c'est quoi ? (c'est un tout petit peu plus facile comme question que "la beauté c'est quoi ?" alors commençons par l'eau !)
L'eau, c'est la vie ! C'est aussi simple que ça. L'eau c'est la fécondité, la fertilité, c'est donc la vie. C'est la clarté aussi. J'ai pensé à la pureté, mais non, je ne veux pas l'écrire là. J'y ai pensé parce qu'en général, ça va de paire. Mais ici, mon idée ne concerne pas la pureté. Si je réfléchis à la sorte d'eau qui jaillit de moi, je parle bien de clarté car cette eau n'est pas jaune par exemple, ce n'est pas de l'urine ! La fontaine que je deviens n'est pas le Manneken Pis ! Je deviens une fontaine.. ordinaire ! Rires ! Une fontaine normale fait couler de l'eau claire. La mienne, c'est sûr, est salée, mais claire. Salée, oui, c'est bien pour ça que je ne parle pas de pureté. L'eau est claire, mais salée. Elle est peut-être pure avant, mais je l'ai déjà précisé, l'origine, l'avant n'est pas mon propos. Donc, elle jaillit salée. Normal, ce sel représente ce qu'elle entraîne, ce que l'eau fait sortir, fait évacuer de temps en temps. De temps en temps parce que je ne suis pas fontaine jaillissant en continu mais fontaine jaillissant par intermittence. Fontaine régulière depuis que je suis fontaine, mais intermittente. Disons que si de cette fontaine jaillissait du courant électrique je me qualifierais de fontaine au débit alternatif. Heureusement encore que je ne serais pas une fontaine au débit continu. C'est ce qui fait que même devenant fontaine, je ne suis pas 'total fontaine', je reste humaine, je reste moi aussi. C'est ce qui fait que je ne deviens pas fontaine de pierre, je suis fontaine de chair. Non pas fontaine qui fait jaillir de la chair ! Fontaine faite de chair, qui fait évacuer, parfois, cette eau salée. Quand l'eau point, c'est la vie qui n'est pas loin. Donc ce n'est pas qu'en devenant fontaine je reste humaine, c'est qu'en devenant fontaine je deviens davantage humaine. Humaine.. vivante.. Ah ? .. Oui.. Humaine, vivante.. Vivante, mais comment ? Est-ce la vie qui m'approche, ou moi qui m'approche d'elle ? Quel est le mouvement ? Dans quel sens ? Quel est le sens ? Quel est le sens de la vie ? De ma vie ? Ce n'est pas cette fontaine qui me le dira. La fontaine fait circuler l'eau, fait circuler la vie mais n'en révèle pas le sens. Ce n'est pas la partie fontaine de moi qui le dira. Mais peut-être le reste. Le reste de moi. Qui d'autre que moi ? Personne. Personne d'autre. C'est moi qui dit. Parce que c'est moi qui observe, c'est moi qui sens, c'est moi qui choisis. Le sens de ma vie. De ma belle vie ? Aïe, je vais trop vite là. C'est déjà délicat de repérer le sens de sa vie, alors pour ce qui est de sa beauté, en effet, c'est sûrement lors d'une étape bien ultérieure que l'on peut s'y pencher et tenter d'apprécier. Qu'est-ce que la beauté d'une vie ? Une simple vision, sans doute. Car une vie c'est d'abord une vie. Un point c'est tout. Après, on peut regarder et décider de dire. Beau. Belle, d'ailleurs, accord avec le féminin de la vie. Ou ne pas dire. Mais la fontaine, elle, elle est belle. Sourire… Je peux le dire, hein ? Parce qu'après tout, dire que je trouve que c'est beau, une fontaine, c'est simplement dire que c'est beau, une fontaine. Rien n'oblige à faire un lien ! Rien n'oblige à se souvenir de ce que j'ai dit et relier et en tirer des conclusions. Rien n'oblige. Rien. On peut, mais on n'est pas obligé. Je ne regarderai donc pas si ce lien est fait. Ce n'est pas ça que je veux regarder. Qu'est-ce que je veux regarder alors ? Où veux-je poser mon regard ? Sur la fontaine apparaissante tout simplement ? Un peu au-delà de la fontaine apparaissante quand même ? Oui, sans doute un peu au-delà de cette fontaine apparaissante. Apparaissante donc récente. Et pourtant il y a bien 'pas récente' également dans 'apparaissante'. C'est que bien qu'elle n'apparaisse que maintenant, elle préexistait tout de même. Sans qu'on la voie. Invisible. Inimaginée. Mais encore une fois, ce n'est pas mon propos, l'avant. Donc, cette fontaine apparaissante. Cette fontaine tout à coup annonçant l'eau, la vie et la beauté.. Annonçant..

Annoncer (v.t.) : 1. Faire savoir, rendre public. 2. Etre le signe de, laisser présager. *

En deux mots : dire et prédire. A la fois.
Il s'agit bien d'agir et de prévoir l'action dans un même temps, dans un même mouvement.
Avoir un pied dans le présent et parallèlement avoir le second s'avançant vers le futur.
Devenir fontaine, c'est bien attester de la présence du futur.

 

 

* : extraits de définitions tirées du dictionnaire Le Petit Larousse Illustré 2002.


         

 

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