Sarah Saraha présente la nouvelle n°6 :

 

Amélie ou comment s'en débarrasser

ou

Comment

 

 

 

 

Les deux portes coulissantes se referment sans un bruit, juste un  souffle discret. Les 4 ou 5 marches se gravissent facilement, je suis soulevée par la foule. Au sommet, des rangées de sièges alignés, déposée sur l’un d’eux, cotonneux. Des effluves parfumés et frais se dispersent en petites bulles aux senteurs multiples. L’aube vient à peine de disparaître, tout est  endormis même la puanteur qui s’exprimera beaucoup plus tard dans la journée.  Elle se libérera violente et insidieuse dans cet endroit fermé, asphyxiante. Et m’inspirera une blague qui ne fera rire que moi : « Qu’est ce qui sent bon à 18 heures?……Un chômeur pardi ! » (Je vous avais prévenu…) 

Au fond du wagon, un homme baisse les yeux, il rougit.

Je n’y ai jeté qu’un œil mais son regard profond et sa crinière divine restent imprimés au fond de ma rétine une demi seconde de trop, comme pour ne jamais l’oublier.

 

Elle ne me regarde pas, tellement absorbée par son livre. Lorsqu’elle est arrivé, je l’ai découverte progressivement. D’abord son regard vague mais curieux, puis sa bouche finement peinte, ses épaules, son petit ventre rebondi et enfin ses longues jambes, interminables. Il me semblait qu’elle flottait. Elle s’est assise si délicatement comme déplacée par de la ouate. Elle avait jeté un coup d’œil rapide, sondé autour d’elle.

 

A droite, des enfants braillent à se taper la tête contre les murs. Tout autour, des visages fermés et morts, des têtes-de-cons ternes. Consternant.

 

La pauvre était coincée entre une bande de criards et des fantômes sinistres.

 

Que faire ?

Dire à ces petits merdeux de cesser de piailler, qu’à force de s’égosiller, ils gaspillent leur énergie et finiront comme les tronches de cake d’à côté, inanimés et abrutis ?

Mauvaise idée…trop provocant. Il ne manquerait plus que ça : me mettre aussi à dos les vieux cons !

Me lever d’un bond et fuir par la fenêtre ?

Douloureux et inutile. A croire que les ouvertures sont étudiées pour éviter cette ultime échappatoire…

Et bien ? Que me reste-il ? .

 

Dès lors, je l’ai fixée, observée. J’ai cru déceler une envie de meurtre dans son expression, ses yeux s’étant soudain transformés en rubis intense prêt à voler en éclats éparses et percer profondément les chairs alentours. Puis rapidement, elle a scruté la fenêtre comme prête à s’élancer. Et finalement s’est résignée, a sorti un livre et s’y est abandonnée

 

Et bien ? Que me reste-il ? .

Plonger ma main lascive et fébrile dans ce tissu soyeux et doux, allant et venant…  Et d’un sursaut sortir l’Objet de ce sac. Tel Moïse brandissant le décalogue : un livre, LE livre !

Les autres, balayés, nettoyés, expédiés.

Bon débarras !

Merci AMELIE !

 Cette alternative pour me débarrasser de cette réalité agressive finalement me ravi. Le brouhaha s’évapore. Mes yeux et mon âme pénètrent ces lettres, si parfaitement dessinées et harmonisées, porteuses de tant de délectation. Je ne remarque pas qu’au fond du wagon, un homme sourit. Cet homme me sourit.

 

Je lui souris mais elle ne me voit plus…. 

   

FIN

 

 

 

         

 

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