Jack présente la nouvelle
n°5 :
Amélie ou comment s'en débarrasser
ou
Le retour d'Amélie Nothomb
" Amélie Nothomb signe la fin du monde ! "
" Amélie Nothomb va creuser la tombe de l'humanité ! "
C'était une certitude, tous les journaux l'annonçaient, en gros titres et avec
beaucoup de points d'exclamation: Amélie Nothomb allait provoquer la fin du
monde ! D'ici un mois...
" Amélie nous tombe dessus ! " titrait le Figaro du 27
mai 2580.
Amélie Nothomb était un corps céleste qui dérivait dans l'espace, un astéroïde
de treize kilomètres de diamètre, avec des creux et des bosses à sa surface,
et fonçant vers la Terre à soixante mille kilomètres à l'heure.
Il avait été baptisé ainsi par l'astronome qui l'avait découvert à la fin
du XXI° siècle, en hommage au fameux écrivain belge. Classé dans la catégorie
des astéroïdes géocroiseurs, les
calculs de son orbite réalisés à cette époque révélèrent qu'il n'avait
qu'une chance sur mille neuf cent soixante-sept millions d'entrer en collision
avec notre planète. Aussi les astronomes ne le surveillèrent
pas plus que ça, et ils finirent par le perdre de vue.
Il
surprit donc tout le monde lors de son retour. Personne n'avait vu arriver Amélie
Nothomb qui avait surgi dans la direction du Soleil, rendant sa détection
d'autant plus difficile.
Tout d'abord, les astronomes ne reconnurent pas Amélie Nothomb, pensant qu'ils
avaient affaire à un nouveau corps céleste dans le système solaire, mais en
se replongeant dans les calculs et les archives, ils durent se rendre à l'évidence:
il s'agissait d'une vieille connaissance, un astéroïde découvert cinq siècles
plus tôt et considéré alors comme inoffensif. Certains pensèrent que
l'orbite de l'astéroïde avait été modifiée par des perturbations
gravitationnelles provoquées par la planète Mercure.
Fichue Mercure !
Depuis l'annonce de la terrible nouvelle, c'était la panique sur Terre.
Ceux qui possédaient une station orbitale privée s'y étaient réfugiés, mais
les autres n'avaient aucune possibilité de se mettre à l'abri.
Personne ne songea à fuir vers Mars puisque
la planète rouge était un cauchemar pour les humains. Y poser le pied équivalait
à un suicide pur et simple. Mars était peuplée de micro-organismes mortels:
des amibes tueuses !
Il y a trois siècles, un biologiste suisse
complètement fou, opposé à la colonisation de Mars par l'homme, avait saboté
le processus de terra formation de la planète en y propageant des amibes modifiées
par ses soins. Celles-ci se développèrent à la surface de Mars en un temps
record et acquirent une résistance phénoménale. Les différents moyens utilisés
-dont l'arme nucléaire- pour tenter de les détruire eurent autant d'effet sur
elles qu'un cataplasme sur une jambe de bois !
Mars appartenait exclusivement aux amibes.
Les martiens, c'étaient elles !
Personne ne songea non plus à fuir sur la Lune, puisque cette dernière
avait disparu du ciel.
Une centaine d'années à peine après la
colonisation de Mars par les amibes, le gigantesque entrepôt d'armes nucléaires
situé sur notre satellite explosa accidentellement. L'explosion fut d'une telle
violence que la Lune fut arrachée à son orbite et propulsée hors du système
solaire, " comme un ballon dans lequel un footballeur cosmique aurait
shooté pour l'envoyer au fond des filets de l'infini", pour reprendre
la formule employée par un poète sportif -ou l'inverse- de l'époque.
L'événement s'était produit un 13
septembre; un lundi.
La disparition de la Lune eut quelques conséquences,
comme le basculement de l'axe de rotation de la Terre, ce qui provoqua tsunamis
et séismes faisant plusieurs centaines de millions de victimes.
Le climat fut bouleversé; les quelques
milliards de survivants aussi. Mais ils surent s'adapter, et la civilisation
humaine, qui avait un instant vacillé, ne s'effondra pas.
Les poètes et les rêveurs avaient perdu
leur astre favori. Terminés, les bienfaits de la Lune.
Les éclipses devinrent des légendes.
Le signe du Cancer n'avait plus de maître,
ce qui ennuya grandement les astrologues.
On observa que beaucoup de personnes nées
après la disparition de l'astre des nuits manquaient singulièrement
d'imagination, aucune ne rêvassaient, il devint impossible de surprendre
quelqu'un qui était dans la lune !
Les autres planètes du système solaire étant inhabitables, il ne
restait qu'une solution: détruire Amélie Nothomb !
Oui, mais comment ? Le plus simple aurait été
d'envoyer des missiles à têtes nucléaires à la rencontre d'Amélie; ça n'eût
pas pardonné, l'astéroïde aurait volé en éclats.
Mais depuis l'explosion sur la Lune,
l'arsenal nucléaire qui restait sur Terre avait été progressivement détruit
pour éviter un nouveau cataclysme.
Le temps de retrouver les vieux plans
d'autrefois -en admettant qu'on les retrouve- pour construire de nouvelles armes
en quantité suffisante, Amélie Nothomb aura déjà assassiné la planète.
Quelqu'un eut une idée: envoyer dans
l'espace un vaisseau bourré d'explosifs et le précipiter sur l'astéroïde. Ça
ne détruirait pas ce dernier, mais sa trajectoire en serait modifiée et il se
contenterait de frôler la Terre. Il était même possible qu'il se satellise
autour de notre planète. Ainsi Amélie Nothomb remplacerait l'ancienne Lune.
Alors, la nuit venue, les rares rêveurs et
les amoureux pourraient se promener -ou s'étrangler- au clair d'Amélie Nothomb.
Les gens autrefois appelés lunatiques feraient leur réapparition, et les soirs
où Amélie Nothomb serait bien ronde, certains hurleraient peut-être dans la
lumière spectrale de l'astre.
Il y aurait de nouveau des marées, un maître
pour le signe du Cancer, et de petites éclipses de temps en temps...
Afin de mener à bien la mission, il fallait trouver quelqu'un qui
accepte de se sacrifier pour sauver l'humanité. En effet, le vaisseau devrait
s'écraser sur l'astéroïde à un moment très précis, en suivant une
trajectoire bien définie, et aucun robot ou programme ne vaudrait un bon pilote
humain.
Il y eut beaucoup de candidats au poste de
sauveur de la planète. Celui qui fut retenu s'appelait Bruce.
Bruce Besson.
Bruce Besson décolla aux commandes d'un vaisseau rempli des explosifs
les plus puissants qui existaient. Il était heureux de donner sa vie pour
sauver celle de milliards de ses semblables. Il se disait qu'on ne l'oublierait
jamais, que dans plusieurs siècles on parlerait encore de lui avec admiration,
des statues à son image seraient certainement érigées, son nom serait gravé
sur des monuments gigantesques...
Bruce Besson poussa les réacteurs de son
vaisseau à plein régime et fonça vers l'astéroïde en criant: Banzaï !!!
Il avait entendu dire que les kamikazes du
XX° siècle poussaient ce cri, et qu'avant de partir accomplir leur mission
suicide, ils buvaient du saké.
Bruce Besson, voulant se donner une image de
parfait kamikaze, avait bu beaucoup de saké.
Beaucoup trop.
Bruce Besson manqua sa cible de sept cent
douze kilomètres -ce qui est peu, à l'échelle de l'univers-
Il ne fit donc que croiser Amélie Nothomb.
Le pilote ne pouvait faire demi-tour pour
tenter un nouveau crash, puisque il avait dû brûler tout le carburant dont il
disposait pour lancer le vaisseau à pleine vitesse.
Ne pouvant freiner non plus, il continua sur
sa lancée, en ligne droite, vers nulle part.
Amélie Nothomb continua sa course vers la
planète bleue, imperturbable.
Dans sa station orbitale privée, où il s'était retiré depuis
cinquante-cinq années avec sa compagne-androïde Alexandra, le célèbre écrivain
misanthrope Peter T. Xatchat, qui avait fait fortune en vendant des millions de
livres consacrés aux serial killers, était aux premières loges pour assister
au spectacle offert par Amélie Nothomb.
Du
gigantesque embrasement de l'astéroïde, provoqué par son entrée dans
l'atmosphère terrestre, jusqu'à son impact flamboyant sur le continent européen,
quelque part entre Bruxelles et Paris, il ne perdit pas une miette, pensant à
toutes ses vies humaines qui s'achevaient ensemble en un éclair, imaginant
l'agonie des rares survivants dans le long hiver post nucléaire qui suivrait.
Sourire aux lèvres, il commença à
fredonner une chanson vieille de six siècles: " In the year 2525, if
man is still alive..."
Il exultait.
C'était un bonheur sans nom que d'assister
ainsi à la fin du genre humain pour un misanthrope comme lui !
FIN