AlZanOr*
présente la nouvelle n°2 :
Amélie ou comment s'en débarrasser
ou
Auto Da Fe
Vendredi
Je
suis l’ascendant rebelle de la vie d’une Autre.
Elle
pousse en moi depuis tant de temps. S’insinue, s’immisce. Croît.
Je
me sens devenir Autre ; de plus en plus ; inexorablement.
Je
me sens Elle.
Amélie
frappe et cogne à la porte de moi. Elle réclame la place, me somme de partir.
Je croyais pouvoir la congédier : rester maître en moi.
Ma
volonté n’aura pas suffit.
Amélie
sera, je serai, écrivain, publique, aimée, estimée, je ne le suis pas. Amélie
veux être, rentrer, s’installer, me chasser ?
J’aime
Amélie : je ne mourrai pas en Elle. Amélie fut ; une tentation, créa
un espoir, me déroba à l’ombre, changea mon histoire, m’y replongea.
Être
un autre, Une, devenir ce rêve, rentrer dans ce vide, je le refuse.
Amélie :
il faut que je me débarrasse de toi.
Samedi
J’ai
commencé à rassembler des bouts de papier, du journal. Des journaux qui
parlent d’Amélie, je n’ai rien d’autre. De la ficelle, aussi, du chiffon,
quelques brins de métal, de l’étoffe, ouatine…
Je
façonne, je modèle, je transfère. Amélie sera.
Elle
sera et je ne serai plus.
Elle
sera célèbre. Partout on entendra parler de son talent. De ses livres. Son
chapeau. Ses habitudes, sa vie. Ma vie. Elle me l’aura volée. Elle portera
mon chapeau, mon talent, mes habitudes. Elle ira partout à ma place. Et je
devrai faire la queue pour me parler…
Je
colle, j’attache, je rabiboche. J’assemble, j’adhère, je connecte. Je crée,
je forme et je prends forme… Bientôt, elle sera, ne sera plus. Bientôt je ne
serai pas, encore, deviendrai, et je serai.
Je
revivrai.
Dimanche
Amélie
ne sera pas. Aujourd’hui, je la brûle.
Elle
se tient devant moi. Un brin de paille dépasse un peu de son chapeau. Ses
grands yeux brillants ne brillent plus ; ils savent que la fin est proche.
Des mitaines dégoutte l’essence aspergée. Du nez perle un rhume grotesque.
Elle est si présente que son visage m’est devenu étranger : je suis
elle en cet instant et elle veut être moi. Je ne veux pas. Plus. Elle tente
encore un ultime assaut ; j’aperçois sur mon corps l’essence qui s’écoule,
glisse et m’enduit. Bien essayé…
Je
ne partirai pas avec toi, Amélie. Ton dernier voyage sera solitaire.
Il
me faudra faire attention.
L’allumette
vole embrase les membres de mon ennemi, enflamme son corps ficelé, enflamme le
tour de ses yeux, enflamme sa poitrine : la paille n’est plus que
flammes, le chapeau lambeaux.
Amélie
prend feu.
Elle
crie en moi ! Non… Brûle, Amélie !! Sépare toi de moi…
part en fumée et rend moi ma liberté. Sort de mon esprit, de ma poitrine, de
ma vie.
Va-t-en !
Les
vêtements se consument ; le pantin s’écroule ; les dernières
braises meurent dans un silence aigu.
Je
respire lentement comme le combat se termine. Retombe à genoux.
La
guerre est finie. Quelle sera ma paix ?
Amélie
s’éteint…
Je
suis libre.
Enfin…