*Celeborn présente :

 

Réflexions

 

 

 

La première chose que fit Line quand elle se leva fut de se regarder dans le miroir. Malheureusement, la lisse surface de mercure et d'aluminium ne fut pas polie : l'image renvoyée était franchement affreuse. Line pesta :

 "J'en ai marre de mes tas physiques ! Des tubes boursouflés en guise de jambes, des seins comme de vieux pneus crevés, un épais plum pudding à la place des fesses : je suis laide, laide, laide !"

 Line n'avait pas tort : son corps paraissait complètement décati. L'inertie, la gravité, la pesanteur : toutes ces forces dégueulasses avaient tiré vers le bas chaque centimètre carré de son être.

 Line en avait parlé à Julien, hier, au restaurant. Elle n'aurait pas dû. Julien était resté silencieux quelques minutes - "le temps de réfléchir", avait-il dit - puis ses mots s'étaient abattus sur Line comme un couperet :

 - Line, tu devrais utiliser davantage de produits cosmétiques.

- De...

- ... L'ennemi de la beauté, l'interrompit Julien, c'est la nature. Le naturel est abominable, disait Baudelaire. Il peut certes flamboyer un instant, mais ensuite il n'en reste que des cendres, car le naturel est combustible et éphémère. C'est pourquoi il te faut te maquiller bien davantage. Et puis la beauté ne peut naître que d'une parfaite hygiène. De là, sa singularité, sa bizarrerie, son éclat peuvent éclore et fleurir. De là... et de nulle part ailleurs.

 A ce moment, Line avait senti que Julien attentait à sa personne, à son essence, à son être même. Et elle ne souhaitait pas qu'il y attentât. Mais il était trop tard : il l'avait minée pour la soirée. Line s'était alors perdue dans ses pensées :

 "C'est un vrai sabotage ! Amoureux de moi, jamais il n'aurait osé dire ça. Donc il ne m'aime pas. Et il veut de surcroît que je ne m'aime pas non plus. Quel salaud !"

 Line y pensait encore devant son miroir. Elle aurait préféré que Julien ne lui ait rien dit. Elle aurait préféré qu'il n'ait jamais pris "le temps de réfléchir". Julien réfléchissait ; le miroir réfléchissait et aucun des deux ne l'aimait. Line se dit qu'elle détestait tout ce qui réfléchissait.

Elle pris alors la première chose qui lui passait sous la main - et qui se trouva être le Robert des noms propres - et l'envoya valdinguer dans son reflet si moche. Une fois le miroir brisé, Line appela Julien pour lui dire de passer chez elle. Quand il entra, elle l'assomma d'un grand coup de dictionnaire.

 Autour d'elle, rien ni personne ne réfléchissait plus. Dans la tête de Line, stupeur. Et tremblements dans tout son corps. Pour la première fois de sa vie, Line se sentit belle.

 

 

         

 

Texte suivant

Tous nos textes

Texte précédent