*Tenore présente la nouvelle n°9 :

 

 

 

Cosmétique de l'ennemi

ou

La sans sous-titre

 

 

 

À vrai dire, elle avait fait le bon choix. C’était son unique certitude. Elle pouvait toujours douter de l’authenticité du vin, provenant soi-disant de Grèce, elle pouvait aussi ne pas être très sûre du prix du sandwich au jambon qu’elle engloutissait sans faim réelle – mais après tout il était midi trente ! – elle restait persuadée d’avoir eu raison de ne pas céder. Son sac, échoué à ses pieds lui renvoyait sa propre image : Comme lui pleins de petits bouts de papier griffonnés de numéros de téléphone, d’adresses de rebouteux et autres ostéopathes, elle se sentait absolument seule, entourée de personnes qu’elle n’appelait que pour un service payant. Mais putain ! Ils croient que c’est … Et puis merde ! Les anciennes odeurs lui agressaient ses narines délicates. « Tu n’es pas facile à vivre ! » Quel imbécile ! Qui est « facile à vivre » ? Les huîtres sont faciles à vivre ! Les pierres sont faciles à vivre, le sandwich au jambon est facile à vivre ! Mais elle ? Eux autour d’elle ? Qu’il lui montre un seul individu « facile à vivre » et elle acceptera tout le reste ! Il ne la voit pas boire. Encore heureux ! Ça va picoler maintenant que je n’ai plus ton œil culpabilisant au dessus de mon crâne ! Je vais me bourrer la gueule ! Ouais ! Demain je vais dans le premier bar ouvert toute la nuit et je me pinte à la bière ! Elle déteste définitivement le ton qu’il prend quand il est au téléphone avec son meilleur ami « Fred ». Cet air de condescendance qu’ils ont pour les autres, leur façon de rabaisser systématiquement leurs comparses. Elle n’entendra plus ces diffamations odieuses. Il n’est pas si mal, après tout, ce muscat de Samos, même s’il vient de Rivesaltes. Ça ne vaut pas un bon Crémant, mais bon … Elle avait bien cru reconnaître une vague connaissance à sa gauche, mais la colère l’aveuglait à un tel point qu’elle en perdait ses qualités légendaires de physionomiste. Tiens ! Elle ne l’avait pas remarqué d’emblée. À sa droite, une fille aux longs cheveux noirs couronnés d’un immense chapeau la regardait. Elle ne lui souriait pas, elle la contemplait minutieusement et discrètement. Elle buvait du thé. Sur sa table, était posé un cahier à spirales et un stylo noir sauvagement mutilé par des dents rageuses. Elle n’allait quand même pas la fixer comme ça pendant deux heures ! Il ne fallait pas qu’elle y pense. Elle ne pouvait pourtant plus se concentrer sur une seule pensée claire. Il lui était nécessaire de vérifier que la jeune fille aux mitaines, dernier détail entr’aperçu, la contemplait toujours. Ça n’était pas désagréable après tout ! Elle plaisait aux femmes, c’était déjà ça ! Vite ! Il fallait s’écarquiller les mirettes, la jeune fille venait d’écrire quelque chose dans le cahier à spirales ! Était-elle une écrivaine, une journaliste ? Qu’avait-elle écris à son propos ? Son bras cachait les quelques mots. Tant pis ! Elle l’aura voulu ! Elle renversa son reste de vin sur le pantalon noir de la jeune inconnue. Je suis désolée ! Vraiment je suis gourde ! La brune chapeautée restait digne et ne manifestait pas une once d’agacement. Quel fair play ! Pendant que l’écrivaine-journaliste cherchait un kleenex dans son sac, elle précipita son regard avide de curiosité sur les quelques mots qui parlaient d’elle. Ce qu’elle lu semblait un titre, mais un titre écrit non pas au début d’un roman, mais à la fin, en forme d’épilogue concis. Elle relu les mots et partie abruptement. L’idée de se retrouver dans un roman lui faisait horreur. Lorsqu’elle fut loin de la terrasse du café elle sortit une cigarette de son sac, l’alluma et prononça à voix haute l’énigmatique titre: « Cosmétique de l’ennemi. »

 

 

 

 

       

 

 

 

 

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