JaCk présente la nouvelle
n°1 :
Antéchrista
ou
La quête de la perle bleue électrique
Bulliprune Pernifeul était un castor né sous le signe des Gémeaux. Pêcheur au clair de lune, rêveur et ponctuel, il aimait les noix, les chiffres ronds comme la pleine lune et surtout Electre Positron, la fille de la reine des sirènes, aux beaux yeux pers.
Il la vit pour la première fois alors qu'il pêchait des poissons-lunes, un soir où l'astre des nuits ressemblait à un zéro d'argent; elle faisait des ronds dans l'eau au milieu du fleuve.
Bulliprune Pernifeul eut le coup de foudre, ce qui, pour un animal passant beaucoup de temps dans l'eau, était plutôt dangereux.
En revanche, la princesse sirène ne prêta pas la moindre attention au castor qui vint nager un moment près d'elle.
Electre Positron était la plus belle des sirènes. Aquarelliste sur étoiles de mer, discrète et serviable, elle aimait les soirs d'orage, les temples mayas sous la pluie et surtout les colliers de perles bleues.
Son meilleur ami Cramelune Ratossek, un bel oiseau bleu roi d'Outremer et de Prusse, lui avait ramené quantité de perles aux couleurs de ses deux royaumes. Mais certaines venaient de beaucoup plus loin.
Par exemple, une fut découverte au fond du Nil Bleu, dans la carcasse d'un crocodile momifié qui ne fut jamais pharaon, une autre provenait de Chine, pêchée dans le fleuve Bleu où le fantôme d'un empereur l'avait certainement perdue. La plus difficile à trouver fut la perle bleu acier, incrustée dans la lame de l'épée d'un ancien roi Atlante qui reposait dans son tombeau bleu marine, tout au fond de l'océan.
Les fées de la ligue des fleurs bleues offrirent même un jour à Electre Positron une perle magique prenant, suivant les jours, la couleur de l'iris, du myosotis, de la pervenche ou du bleuet.
Du bleu céruléen au bleu nuit, Electre Positron possédait toutes les nuances de sa couleur préférée dans des perles, à l'exception du bleu électrique que Cramelune Ratossek, malgré ses incessantes recherches, ne put jamais découvrir.
Bulliprune Pernifeul apprit toutes ses informations au sujet d'Electre Positron de la bouche d'une carpe qui avait longtemps été au service de la reine des sirènes.
Le castor décida de se mettre en quête d'une perle bleu électrique. Il se disait qu'il devait bien en exister une quelque part, qu'il la trouverait et la ramènerait à la princesse aux belles écailles espérant ainsi faire chavirer son coeur de sirène.
Il quitta son fleuve natal et voyagea pendant sept ans. Il traversa les océans, manquant souvent de finir dans la gueule d'innombrables prédateurs. Il remonta une multitude de fleuves jusqu'à leur source, en vain. Il interrogea la Lorelei, le poète triste et fou Santiago de la Garonna, le fantôme du roi Sargon qui cherchait désespérément au fond du Tigre et de l'Euphrate les sceaux magiques de turquoise qui lui permettraient de retrouver son royaume d'autrefois. Le spectre du souverain conseilla au castor de chercher du côté de l'Eridan.
Bulliprune Pernifeul remonta alors l'Eridan, jusqu'au ciel, et l'éclatante Achernar, dans son langage de lumière, lui révéla enfin où se trouvait l'unique perle bleu électrique :
« Au fond de l'Amazone, dans une pyramide de verre, dort depuis des millénaires la belle Antéchrista, à la peau bleu pastel et aux longs cheveux couleur d'azur. Elle porte un diadème où brille la fameuse perle. »
Bulliprune Pernifeul plongea dans l'Amazone, se joua des anacondas qui gardaient la pyramide et pénétra dans le bâtiment de verre par une fêlure sur la face nord.
A l'instant précis où, d'un coup de dent, le rongeur délogea la perle du diadème, la splendide dormeuse et la pyramide se volatilisèrent.
Plus aucune trace des serpents gardiens, quant à la perle bleu électrique, en un éclair, elle s'était transformée en coquille de noix à l'intérieur de laquelle reposait une petite fée morte qui ressemblait étrangement à Electre Positron, les écailles et la queue de poisson en moins !
Bulliprune Pernifeul retourna dans sa région natale et découvrit avec stupeur que tous les autres castors n'étaient plus que des rongeurs parmi tant d'autres, qu'aucun d'entre eux ne pêchaient au clair de lune, que les carpes étaient muettes et que les oiseaux bleus ou les sirènes comme Electre Positron n'existaient plus.
Achernar n'était qu'une lointaine étoile bleue vers laquelle le poète Santiago de la Garonna s'était enfui à bord de son imagination, la Lorelei était simplement le nom d'un escarpement rocheux, Sargon un roi oublié comme les mille et une couleurs des jardins de Babylone.
Un jour d’automne, Bulliprune Pernifeul enterra, dans sa coquille de noix, la petite fée morte qui ressemblait tellement à celle pour qui il avait cherché la perle bleu électrique.
Alors, en quelques minutes seulement, un superbe noyer poussa à l'endroit précis de l'inhumation. L'arbre donna quantité de noix.
A l'intérieur de ces noix, des fées venaient au monde. L'une d'elles sortit de la coquille qui lui servait de berceau et voleta autour de Bulliprune Pernifeul qui reconnut avec bonheur la petite fée qu'il avait enterrée quelques instants plus tôt. Elle était entourée d'un halo d'un magnifique bleu électrique et portait un collier de minuscules perles bleues.
Elle embrassa sur le museau le castor qui se métamorphosa aussitôt en bel écureuil roux.
Bulliprune Pernifeul comprit alors quel était son nouveau rôle: cueillir les noix et les apporter dans un lieu secret où les fées pourraient naître dans leurs berceaux, à l'abri des coups de becs des oiseaux et des pieds des humains. En échange, les fées révélaient au rongeur où trouver les plus délicieuses noisettes.
C'est le premier automne que je passe ici depuis que je suis revenu d'Achernar. J'ai changé de nom et me suis installé dans cette maison. En regardant par la fenêtre, je vois ce superbe noyer dans mon jardin où souvent un écureuil vient prendre quelques noix et les emporte. Le petit animal est toujours accompagné par ce que je croyais être, tout d'abord, une libellule.
Mais les libellules n'émettent pas de lueur bleue !
Hier, l'écureuil est venu taper au carreau de la fenêtre. C’est alors que je l’ai reconnu, celui qui était venu me voir, naguère, alors qu'il était encore un castor et cherchait la perle bleu électrique.
Il a aiguisé un de mes crayons, avec ses dents, et m'a demandé d'écrire son histoire sous sa dictée; ce que j'ai fait. Mais honnêtement, je pense qu’il en a un peu rajouté ! Puis, joyeux, il est repartit cueillir des noix, accompagnée de sa fée bleue qui jadis fut une sirène.
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