
Kékéborné
(Celeborn) présente la nouvelle
n°11 :
Présence
du futur
ou
Le
chapeau magique
C'est au beau milieu de l'après-midi
qu'Amélie s'en aperçut : son chapeau avait grandi. Elle était là, devant
son miroir, s'apprêtant à sortir ; elle vérifiait simplement qu'elle
n'avait rien oublié (elle se souvenait encore du jour où, distraitement,
elle n'avait pas mis de jupe. Il lui avait fallu deux heures pour comprendre
que les regards des passants n'étaient aucunement en train de rendre hommage
à sa beauté) ; et elle se rendit soudain compte que son couvre-chef
franchissait la limite supérieure de la psyché.
Un chapeau qui grandit, c'est encore
supportable, et Amélie ne s'en formalisa pas trop. En revanche, elle fut
ennuyée quand elle pris conscience d'un fait autrement plus gênant : son
chapeau était fixé sur sa tête. Et elle ne pouvait plus l'enlever. Sans
compter qu'il grandissait toujours, et qu'il risquait de bientôt toucher le
plafond.
Tel un bélier médiéval avec lequel
on défonce les ponts-levis, Amélie franchit la porte de son appartement tête
baissée. Renonçant pour d'évidentes raisons de place à prendre l'ascenseur,
elle dévala les escaliers la tête la première, et se retrouva coincée
entre le quatrième et le troisième étage.
Trois heures plus tard, personne n'étant
passé, elle mourut écrasée
sous son couvre chef.
Quand on trouva son corps, on
remarqua avec étonnement que le crâne d'Amélie avait pris la forme exacte
et disproportionnée de son Pompilo noir. Durant l'autopsie qui suivit, on
trouva dans ce crâne en haut-de-forme quatre-vingt-dix-neuf romans d'environ
cent-cinquante pages chacun. Or si Amélie était toujours parvenue à
accoucher d'un roman à la fois, tel Zeus faisant sortir de sa caboche de
petites Athéna à intervalles réguliers, elle avait en revanche fatalement
succombé à l'arrivée simultanée de ses quatre-vingt-dix-neuf prochains
chefs-d'oeuvre. Ils furent
cependant tous publié par son éditeur, à raison d'un par an, et Amélie
devint "l'écrivaine du siècle". Chapeau !

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