Nadia présente  :

 

Le temps des dentifrices

 

 

Ariel se lava les dents en songeant qu'il n'était pas retourné chez le dentiste depuis près d'un demi siècle.

L'hygiène de l'assassin, enfin celle du vampire passait d'abord par un brossage régulier de ses canines avant de mordre sa proie.  Cela devenait quasiment une métaphysique des tubes de dentifrice : chaque tube achevé témoignait du passage du temps.  Après calcul, il avait réalisé avec stupeur et tremblements qu'il avait consommé plus de trois mille tubes de dentifrice: une véritable cosmétique de l'ennemi que ce temps mentholé qui s'écoulait indéfiniment.

Ariel se plongeait ensuite dans un bain délicatement parfumé au gingembre, s'essuyait dans un linceul qui l'enveloppait tel un péplum et remettait des combustibles dans la cheminée pour achever de se sécher.

Ce soir, il jubilait car il avait prévu d'initier un être particulier: son écrivain préféré Amélie Nothomb dont il avait dévoré, quelques tubes de dentifrice plus tôt, son roman Les Catilinaires qui contait l'histoire d'un homme qui vampirise ses voisins par son silence.

Le personnage était à la hauteur de ses écrits : Amélie Nothomb était une belle femme d'un autre temps, toujours vêtue de noir, qui dormait très peu et stockait un nombre impressionnant de manuscrits impubliés dans ses tiroirs.

Ce ne serait pas un sabotage amoureux : elle était née pour être un vampire et Ariel avait décidé d'être l'instigateur de cette gloire éternelle.  Ce sera un attentat pour la littérature : personne ne pourra égaler cette talentueuse scribe qui traversera les siècles et sera appelée "le Mercure des rentrées scolaires".  Ariel attendrait patiemment que l'ennui vampiresque la contraigne à publier tous ses manuscrits.

 

Lorsqu'il pénétra dans le bureau de l'écrivain, il vit une sublime créature aux longs cheveux noirs qui tenait à la main un dictionnaire tâché de sang, le Robert des Nom propres et qui fixait intensément du regard Amélie Nothomb qui gisait à terre à demi inconsciente.

Quand Ariel approcha sa bouche du cou de l'écrivain, celle-ci sourit et lui demanda dans un souffle de ne pas épargner Robert, sa soeur de sang.

Il n'hésita pas : avoir tenté d'assassiner Amélie Nothomb méritait déjà en soi la postérité.

Quelques milliers de tubes de dentifrice plus tard, Amélie Nothomb et Robert sont toujours inséparables.

 

 

         

 

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