Tilly présente la nouvelle n°3 :
Cosmétique de l'ennemi
ou
Némésis réincarnée
Virginie était ravissante, elle portait une robe légère à fleurs, sa silhouette était exquise… Elle rayonnait, son visage lumineux aurait charmé n’importe quelle personne censée. Et pourtant, je n’étais pas une personne censée…
Elle venait d’apprendre qu’elle était reçue à son concours, plus rien ne comptait qu’elle. Je l’admirais, cette journée était la sienne, je voulais la voir heureuse. Rien d’autre ne comptait pour moi que ce soit aujourd’hui, hier ou demain…
Elle était ce que j’avais de plus cher au monde, elle était ma force, ma lumière. Tout me plaisait en elle : son visage, sa voix, ses pensées, ses mots, sa façon d’être, Elle…
Et pourtant, je ne savais être qu’une oreille attentive, une épaule sur laquelle on s’épanche, mais jamais plus. Etre l’âme sœur, alors que depuis notre première rencontre elle ne voyait en moi que l’amitié. Cette amitié qui me comblait, tout en me pesant…
J’entendis un petit soupir s’échapper de sa bouche, je la regardais :
· - Dis, crois-tu qu’un jour je serai heureuse, encore plus qu’aujourd’hui ?
· - Pourquoi dis-tu cela ? Aujourd’hui c’est ta journée, moi je ferai tout pour que tu sois heureuse. On va sortir, et faire la fête. Tu as réussi ton concours, c’est merveilleux, non ?
· - Oui, bien sûr ! Mais les études ce n’est pas tout, il me manque quelque chose, quelqu’un…
Je ne sus quoi lui répondre.
Depuis plusieurs années déjà, Virginie et moi étions quasiment inséparables. Nous avions commencé à discuter à la fac, je ne me souviens plus de la date exacte. J’étais avec deux amis lorsqu’elle m’aborda, au sujet d’un cours à rattraper. Avant ce jour je ne l’avais jamais réellement remarquée. Nous avions sympathisé, puis nous nous vîmes de plus en plus jusqu’à devenir comme les deux doigts de la main. Lorsqu’elle était quelque part je n’étais jamais très loin, nos échanges étaient intéressants, je n’avais jamais connu avant ça, une telle osmose avec quelqu’un. Tout l’intéressait, et nous pouvions parler ensemble pendant des heures. A cette époque là, elle était ma confidente, rien de plus. Puis, nous devinrent de plus en plus proches, partageant nos joies, mais aussi nos peines et nos échecs. Dans les moments de doute, elle était toujours là pour moi, et moi pour elle…
Jusqu’à ce jour, Virginie avait connu bon nombre de soupirants, plus ou moins méritants ; elle me parlait toujours d’eux. Et moi, j’étais là, écoutant et conseillant, le cœur partagé entre son bonheur et ma peine. Malgré le fait que nous soyons si proches, elle ne semblait ni comprendre, ni même remarquer les sentiments que j’éprouvais à son égard. Alors je restais là, à ses côtés. Chaque fois que je la voyais, et encore plus lorsque je la voyais triste, mes sentiments me submergeaient, mais j’avais su me résigner. Je préférais conserver notre amitié si forte, plutôt que de lui avouer mon désarroi et mes sentiments, et risquer de la perdre…
Ce jour-là donc, elle semblait triste, et moi je ne savais que faire…
Nous décidâmes d’aller tout d’abord boire un verre, sur la terrasse d’un café, face à la mer, le cadre idyllique. Il faisait déjà chaud en ce mois de juin, mais l’air frais de la mer, et le bruit des flots et des goélands, nous rendaient libres. C’était les vacances pour nous deux, cela signifiait trouver un petit boulot et trouver également un cœur à prendre pour combler (chimériquement pour moi) nos amours solitaires.
Je voyais son regard s’attarder sur les beaux jeunes hommes qui passaient devant nous torse nu, bien bronzés et bien faits : l’image parfaite de ce que je n’étais pas…
Quant à moi, mon regard se posait de temps à autre sur les formes d’une charmante jeune fille, mais il revenait toujours sur Virginie.
Nous décidâmes ensuite, que nous irions au restaurant pour fêter la fin des examens, j’avais également réussi la semaine précédente à avoir ma maîtrise avec mention. C’était l’occasion de faire d’une pierre deux coups.
Le dîner se passa très bien, nous avions opté pour un restaurant japonais, car elle adorait la nourriture et la culture de ce pays. Nous discutâmes de tout et de rien.
Puis à un moment elle me dit :
· - Je n’ai pas vraiment envie de passer mon été toute seule.
· - Je te comprends Virginie, et c’est pareil pour moi, comme toutes les années ; mais ne te précipite pas sur le premier venu….
· - Est-ce que c’est mon habitude ?
· - Non, je n’ai pas voulu dire cela, mais… tu n’as pas l’air très en forme et…
· - Rassure-toi, je pense seulement qu’il y a un mec que j’aime bien dans ma promo, et que…
· - Et que… ?
· - Non, rien.
· - Si, dis-moi…
· - Et bien, je ne pense pas qu’il soit véritablement intéressé par moi, mais on sortira cet été, et je trouverai bien quelqu’un…
· - Oui, certainement…
Cette conversation me déboussolait, je ne savais comment réagir. Après un court silence je rétorquais :
· - De toute façon, on sort ce soir, je t’emmène danser !
· - Oui, d’accord ! Ce soir, c’est soir de fête !!!
Il était près de minuit, après avoir bien mangé et discuté, une petite promenade sur la plage s’imposait, nous permettant de digérer et de reprendre un peu d’entrain. Virginie, comme souvent, se tenait à mon bras, c’était une habitude qu’elle avait prise, je ne pouvais m’empêcher de la laisser faire.
Le ressac était merveilleux à entendre, il faisait frais au bord de l’eau. Les étoiles parsemaient le ciel, et la pleine lune se reflétait sur cette mer d’huile et dans les yeux rieurs de Virginie qui me regarda, me demandant :
· - Alors, on fait quoi maintenant ?
Moi, j’aurais aimé rester là, à marcher à coté d’elle, mais je lui avais promis de l’emmener danser, et je savais qu’elle en avait envie.
· - Et bien, je t’emmène danser, ma belle !
Direction Le Divino, peut être y croiserions-nous J-Ed à la caisse ou bien Loana en train de danser sur un cube…
Une fois à l’intérieur, je me mis comme à mon habitude à une table, puis je regardais Virginie me faire un grand sourire, et me murmurer à l’oreille malgré les décibels qui déchiraient l’air :
· - Alors, tu m’accompagnes ce soir ?
Silence de ma part…
· - Allez, pour une fois…
Elle était à craquer, quasi irrésistible, elle pensait que cette fois ci elle me convaincrait, et elle avait raison. Elle me prit par la main et nous nous dirigeâmes vers la piste de danse. J’étais debout et je commençais ridiculement à me trémousser tandis que Virginie dansait à merveille.
Une danse me suffit, je retournais m’asseoir, Virginie me regarda partir, mais ne dit rien, elle savait que je venais de faire un effort en venant danser avec elle. Je me contentais de regarder les gens, je dansais par procuration ; et je la regardais Elle.
Dans ces moments là, elle m’échappait totalement, nous avions deux univers différents, mais c’est également ce qui me plaisait dans notre relation, elle m’apportait une fraîcheur que je n’avais pas.
La soirée et la fin de la nuit se passa à merveille, j’aimais la voir contente et heureuse. Je prenais du plaisir là où elle en prenait.
Je la raccompagnais chez elle, elle me demanda de rester dormir, j’acceptais. Plus d’une fois nous avions passé des nuits ensemble à discuter, discuter, discuter… et puis nous étions en vacances.
La semaine qui suivit se déroula normalement, nous passions nos journées à la plage, et nos soirées dehors ou chez elle à papoter. Sept jours de farniente et de rêves, puis je dus partir sur Marseille, j’avais trouvé un job par le biais d’une boîte d’intérim. Mais ça ne devait pas durer, je quittais Virginie, lui promettant de l’appeler.
Je passais deux semaines à travailler dans une société, le boulot n’était pas difficile mais il était totalement inintéressant, il me permettait avant tout de gagner de l’argent.
De retour, après ces deux semaines de labeur, je retrouvais Virginie avec plaisir, mais elle me paraissait changée, quelque peu distante… Je trouvais cela bizarre et je ne comprenais pas. Qu’avais-je fait ?…
Elle m’avoua qu’elle n’avait pas voulu m’en parler au téléphone mais qu’elle avait rencontré quelqu’un, avec qui elle était bien et heureuse. C’était la première fois, qu’elle me mettait à l’écart de sa vie, la première fois qu’elle me cachait quelque chose. Je le pris mal mais j’essayais de ne pas le laisser transparaître. Elle avait droit à une vie privée, elle avait droit de ne pas tout me raconter. Moi-même, il m’arrivait de ne pas tout lui
dire : je l’aimais et je le lui avais toujours caché. Mon amour propre en prit un coup, mais je me dis également que c’était un secret qui n’avait pas duré si longtemps ; que ce n’était pas si grave.
Je lui demandais plus de détails :
· - Qui est ce grand veinard ? Où l’as-tu connu ? Comment s’appelle-t-il ?…
Je la harcelais de questions ; elle ne me répondait pas…
· - Tu ne veux pas m’en parler ?
Silence de sa part… Je commençais à ne plus apprécier la situation… Je lui lançais un « Pourquoi ? » assez sec.
· - Je l’ai rencontré en boîte. On a bu un verre ensemble… Je ne m’y attendais vraiment pas, ça m’est tombé dessus !
Puis, nouveau silence…
· - Et tu ne veux pas m’en dire plus ? Je le connais ?
· - … S’il te plaît… Laisse-moi du temps… Je t’en parlerai quand je serai prête…
· - Prête pour quoi Virginie ? D’habitude on se dit tout, je ne comprends pas…
Elle me jeta un regard plutôt froid et en même temps si désarmant, mais je ne me résignais pas. Je lui rendis son regard et partis en claquant la porte.
Je lui en voulais terriblement. Effectivement parce qu’elle avait trouvé quelqu’un mais surtout parce que j’avais l’impression d’une trahison. Elle se comportait comme la plupart des filles. Le garçon arrivait et plus rien d’autre, plus personne ne comptait…
Je décidais de ne plus lui donner de nouvelles, j’attendrai qu’elle se manifeste. Le silence était mon arme de prédilection, pourtant à chaque fois que j’en usais, je souffrais autant que l’autre, sinon plus…
Je tentais de vivre mes journées simplement, sans Virginie, ce qui n’était pas si facile. Mais je ne céderais pas !
Après deux jours sans nouvelles, mon téléphone sonna, c’était elle. Est-ce que je décrochais ou non ? Je portais finalement le combiné à mon oreille et répondais d’une voix plutôt froide :
· - Allô…
· - C’est moi.
· - Oui.
· - Je… Je voulais m’excuser. Je trouve ça idiot de se disputer ainsi. Est-ce que l’on peut se voir pour discuter ?
· - Je ne sais pas… J’ai des choses à faire aujourd’hui.
« Des choses à faire » : quelle excuse et quel mensonge ! J’étais en train de revoir les épisodes de ma série télévisée préférée pour la cinquième fois : un remède contre l’ennui et la déprime.
· - S’il te plaît. Il faut que l’on s’explique. Je déteste cette situation… Tu passes me voir ce soir ?
· - J’essaierai…
· - Tu penses venir vers quelle heure ?
· - Disons 17heures, mais ce n’est pas certain.
· - Tu ne peux pas venir un peu plus tard ? Parce que… Parce que je ne serai pas seule à cette heure là…
Je lui répondis sur un ton plutôt agressif :
· - Ah oui, tu seras avec ta mystérieuse moitié ! ?
· - Oui, je lui ai proposé de s’installer chez moi…
Je coupais court à la conversation, je n’avais pas envie que nous nous disputions au téléphone.
· - Alors 18 heures, c’est à prendre ou à laisser.
· - D’accord.
· - Au revoir.
Je n’attendis même pas qu’elle réponde et je raccrochais. Elle avait un de ces culots !
Je décidais tout de même que j’irais la voir, si nous pouvions mettre les choses au clair, ce n’en serait que mieux, et pour tout le monde. Et puis sinon, je pourrais toujours partir, prétextant un rendez-vous ou autre.
Je passais le reste de la journée devant la télévision.
A 18h15, je sonnais chez Virginie. Elle vint m’ouvrir, elle était rayonnante. Je lui fis tout juste la bise, et allais m’installer dans le canapé comme à l’accoutumée. J’avais décidé de venir en terrain conquis, ce n’était pas parce qu’un étranger occupait son appartement que je devais changer mes habitudes.
Je scrutais des yeux le salon, aucun vestige masculin en vue. En fait, rien de particulier qui laisse penser qu’une autre personne habitait ici, du moins dans le salon. Pourtant, je remarquais immédiatement deux verres sur la table basse. Elle n’avait même pas pris la peine, même pas eu le tact de les enlever. Elle le fit à cet instant, voyant mon regard s’attarder dessus, et me demandait si je voulais boire. Je répondis un oui neutre. Je la vis partir dans la cuisine sans même me demander ce que je voulais comme boisson. Ça au moins, ça ne changeait pas ; elle avait toujours su deviner ce dont j’avais envie.
C’est pendant qu’elle était à la cuisine que je vis un tube de rouge à lèvres à mes pieds, à côté du canapé. Je le pris. Le nom sur le capuchon m’interpella : « Fille de joie », drôle de nom pour un rouge à lèvres. Je l’ouvris, fis monter le stick, il était foncé. Je n’avais jamais vu Virginie avec un rouge à lèvres foncé, toujours des tons pastels et clairs. Elle me répétait sans cesse qu’elle n’aimait que ces tons là, et qu’elle ne voulait pas ressembler à Emmanuelle Béart lorsqu’elle « déparait » ses lèvres d’un bordeaux foncé.
Je restais donc très perplexe devant ce tube de lipstick.
Virginie revint avec les boissons : une limonade pour elle et un soda à l’orange pour moi (elle ne s’était pas trompée). Elle s’assit en face de moi. Je lui dis, montrant le fameux objet :
· - C’est à toi ce rouge à lèvres ? Je viens de le trouver par terre.
Elle eut un très court moment d’hésitation puis bredouilla :
· - Non, c’est à Flo…
Je restais stoïque. Qui était Flo ?
Elle me regarda un moment, elle était mal à l’aise, puis elle lança :
· - Ecoute, cette situation me pèse. J’en ai marre de te mentir, de te cacher des choses.
Je me blindais dans mon silence.
· - Flo, c’est Flora, et c’est ma petite amie.
Je crois qu’un coup de poignard en plein cœur m’aurait fait moins de mal. Pourtant je tentais de garder mon calme. Je posais mon verre sur la table et la regardais avec un regard perdu et empli de colère.
· - Flora…
· - Je… Je ne savais pas comment te le dire. J’avais peur que tu le prennes mal, peur de te faire de la peine…
Je sortais de ma stupeur et le son de ma voix, mon emportement, mon agressivité me surprirent moi-même :
· - Flora ? Pourquoi ? Pourquoi elle ? Qu’a-t-elle de différent ?
· - Je sais que tu ne portes pas Flora dans ton cœur, je sais ce que tu penses d’elle… mais je ne voulais pas te faire de mal.
· - Oui, c’est une allumeuse, une fille de la nuit. Elle ne t’apportera rien de bien… Tu ne voulais pas me faire de mal ! ?
· - Non…
· - C’est pour ça que tu m’as menti ? Pour ça que tu as risqué notre amitié ?
Je la fixais d’un œil noir, j’avais le tube de rouge à lèvres dans la main et je le faisais machinalement rouler entre mes doigts… Elle se leva et répliqua :
· - Je t’ai toujours acceptée telle que tu es Sarah. Le fait que tu sois lesbienne ne m’a jamais posé de problème, ça n’a jamais rien changé entre nous. Mais j’ai également toujours dit qu’aucune fille ne m’avait jamais attirée, ni séduite. Et que ça n’arriverait certainement jamais.
· - Oui, jusqu’à aujourd’hui, jusqu’à Flora, c’est ça ?
· - Oui, et j’ai eu peur que tu le prennes mal. D’ailleurs, c’est le cas. Sarah, je ne suis pas totalement aveugle, je sais très bien quels sont les sentiments que tu éprouves pour moi…
Je restais stupéfaite, elle continua :
· - Le fait que je sorte avec des garçons tu l’as toujours toléré, accepté, tu n’as jamais rien dit. Mais là, je ne savais pas comment tu réagirais… et en plus tu n’étais même pas là… Alors, j’ai préféré attendre ton retour pour te le dire de vive voix… Et quand tu es enfin revenue, et bien je n’ai pas réussi à te le dire et tu es partie en claquant la porte…
J’avais envie de me lever, de la regarder droit dans les yeux, de la prendre par les épaules et de la secouer en lui criant dessus. Je sus que si je faisais cela, je finirais par la frapper… et ça, je ne le voulais pas. Elle m’avait trahie, elle nous avait trahies. Comment voulait-elle que je prenne toute cette histoire bien, que je reste calme ? Elle m’avait caché des choses, elle m’avait menti, et surtout elle ne m’avait pas fait confiance. Et tout ça pour cette Flora qui n’en valait pas la peine. Virginie sortait avec une fille, et en plus une fille qui multipliait les conquêtes d’un soir…
Je restais assise quelques minutes puis je me levai, elle me regarda :
· - Sarah, reste s’il te plaît. Discutons…
Mais je ne voulais pas discuter, je ne voulais plus l’entendre, plus la voir. Je ne voulais pas imaginer que cette Flora habitait ici, et qu’elle pouvait revenir à n’importe quel moment.
Virginie voulut me retenir : c’était peine perdue. Je me dirigeai lentement vers l’entrée, ouvris et partis sans me retourner laissant la porte ouverte derrière moi…
Je descendais les escaliers, une sensation de vertige me submergea. Je rentrais directement chez moi. Je n’avais envie de voir personne, de ne parler à personne.
Arrivée dans mon appartement, je m’assis sur mon lit, des images de l’heure qui venait de s’écouler me revenaient en tête. Je repensais également à tous les bons moments que nous avions passés ensemble Virginie et moi, à rire comme des folles. La complicité qui nous unissait, tout ça était sali, bafoué, brisé.
Je sentis quelque chose de dur qui me gênait dans la poche de mon jeans. Je me levais et me retrouvais avec ce tube de rouge à lèvres dans la main. J’avais dû le mettre inconsciemment dans ma poche en partant. Je le posais négligemment sur mon lit. J’éteignis mon téléphone, je mis un CD d’Emma Shapplin et je m’allongeais. Je finis par m’endormir…
Je me réveillai, il était 9h30. Je me levais, un peu déboussolée.
Avais-je rêvé ou est-ce que cette dispute s’était effectivement passée ?
Je marchais sur quelque chose, je regardais par terre… Encore ce foutu rouge à lèvres (ce n’était pas un rêve…). Je le ramassais et j’allais le jeter, quand je me dis qu’après tout, j’allais l’essayer. Je me retrouvais devant ma glace, je commençais à recouvrir mes lèvres… Ce goût dans ma bouche m’incommodait, j’avais toujours détesté cela. Je me regardais, ça ne m’allait pas si mal ; moi qui ne me maquillais jamais. J’avais du mal à me reconnaître.
Une idée me traversa alors l’esprit ; et si je devenais Flora…
Puisque c’était elle que Virginie aimait, pourquoi ne deviendrais-je pas Elle ?
En fouillant dans mon armoire, je retrouvais un pantalon en cuir noir que je n’avais jamais porté : pas mon style. J’avais également un petit haut sexy, jamais mis non plus.
Je sortis faire quelques emplettes : vêtements, chaussures, maquillage…
De retour dans mon appartement, je me lançais dans ma transformation.
Je me douchais, me lavais les cheveux, puis rendez-vous devant la glace où je me maquillais.
Mascara et Eyeliner noirs, le fameux rouge à lèvres « Fille de joie ». Je n’étais plus la sage Sarah. Puis les habits, j’avais du mal à me sentir à l’aise dans ce pantalon. Mais ce n’était pas grave, je m’habituerais, ma « vengeance » valait bien quelques sacrifices. Maintenant le haut ; heureusement que j’avais une belle poitrine car on ne voyait plus que ça.
Je me retrouvais devant le miroir et je ne me reconnaissais pas. Mais ce que je voyais ne me déplaisait pas tant que ça. Effectivement, je ressemblais à Flora, mais ma tenue et mon maquillage me rappelaient également Faith dans « Buffy » et cela ne me dérangeait pas, bien au contraire…
Je décidais que je sortirais en boîte de nuit ce soir là, et dans une boîte « mixte » comme on dit. Lorsque je rentrai, tout le monde me regarda, que ce soit mecs ou filles. Et j’entendis des « Tu la connais ? » lancés à tout va… L’ancienne Sarah se serait sentie mal à l’aise, au contraire j’avançais fièrement, et allais m’accouder au bar demandant une bière.
C’était si bizarre et en même temps si enivrant, cette situation… Il fallait que j’oublie Virginie, et pour cela il fallait que je m’oublie moi.
Je m’amusais comme une folle, je discutais avec la barmaid, et j’osais même aller danser, mais juste une danse. Par contre, j’avais décidé de séduire la belle rousse qui n’était pas loin, à une table avec des copines. Elle semblait libre, je n’arrêtais pas de la fixer. Elle l’avait remarqué, mais cela m’importait peu. Elle me regardait elle aussi, j’en profitais. Je m’approchais de la table et lui proposais une danse. Elle accepta.
· - Je vous l’emprunte pour la soirée, dis-je à ses copines.
On dansa, puis je lui offris à boire. Apparemment je ne lui déplaisais pas, c’était nouveau pour moi… On finit la soirée ensemble, puis nous nous retrouvâmes chez elle. J’avais envie d’elle, je ne m’en privais pas, de plus elle était totalement consentante.
Au petit matin, je me réveillai avant elle. Je la regardais, elle était belle. Puis je partis, lui laissant un petit mot lui faisant comprendre que l’on s’était bien amusées mais que l’on en resterait là…
Je passais mes journées à faire les boutiques, et le soir je retournais en discothèque.
Je buvais, je dansais, je draguais. Elles étaient peu à me résister. J’assouvissais mon besoin de sexe et au matin, je les abandonnais. Bizarrement aucune ne m’en voulait véritablement. Peut-être s’y attendaient-elles ?
Je faisais ce que bon me semblait. J’avais toutes les filles que je voulais et apparemment je plaisais. Cette nouvelle vie, ce nouveau moi, me convenaient à merveille.
Quoi de plus simple, après tout, que d’être tout ce qu’en fait je n’étais pas ?
Cela faisait une semaine et demie que je n’avais pas vu Virginie, je ne m’en portais pas plus mal. Elle me laissait fréquemment des messages sur mon répondeur, me demandant de la rappeler. Mais je n’en avais pas envie, je n’en avais plus besoin.
Ce soir là, alors que je venais de danser un slow avec une belle brune, et que nous nous dirigions vers le bar, je tombais sur Virginie. Elle était seule, elle s’approcha de moi, et me dit :
· - J’espérais bien te trouver là… Est-ce que nous pourrions sortir pour parler toutes les deux ?
Elle osait revenir, et sur mon territoire ! Et Madame, voulait que je laisse ma copine pour aller discuter avec elle…
· - Tu vois bien que je suis accompagnée, je n’ai pas de temps à t’accorder ! Va donc rejoindre ta Flora…
Mon ton était plutôt sec, et j’avais intentionnellement haussé ma voix pour que tout le monde nous remarque. J’avais envie de l’humilier en public.
· - Je… Je ne suis plus avec Flora…
· - C’est pour ça que tu reviens me voir ! Elle t’a plaquée, donc tu te rappelles que j’existe ! Tu imagines peut-être que je vais te pardonner ? Même si tu t’agenouillais devant moi, ça ne changerait rien ! Va-t’en !
Je sentais qu’elle avait les larmes aux yeux, elle se retenait pour ne pas pleurer devant tout le monde, elle avait sa fierté, et elle avait toujours été la moins sensible de nous deux… Mais là je voyais qu’elle allait craquer. Je lui tournais le dos, et allais au bar…
Elle partit . J’avais été odieuse avec elle, mais c’était si jouissif ! ! ! Elle n’avait que ce qu’elle méritait, et puis j’avais une nouvelle vie dont elle ne faisait pas partie.
Comme les autres soirs, je finissais au lit avec ma conquête d’une nuit, mais je repensais malgré moi à Virginie. Je croyais l’avoir oubliée malgré ces messages téléphoniques, et elle réapparaissait.
Malgré tout le lendemain matin, je partais, comme à mon habitude… Et le soir j’étais à nouveau en boîte. Alors que j’étais au bar avec une jeune fille brune, aux yeux bleus que je trouvais différente de toutes celles que j’avais pu séduire jusque là, on vint me chercher.
· - Sarah, viens vite je crois qu’il y a une de tes amies qui vient de se faire renverser !
· - Quoi ? Comment ? Qui ?
· - Virginie, tu sais la fille que tu as jetée hier soir.
· - Que s’est-il passé ?
On me racontait qu’elle avait voulu rentrer pour venir me voir et que vu le scandale que nous avions fait la veille, on l’avait empêché de me rejoindre. Elle avait insisté, puis était partie en courant les larmes aux yeux. Elle avait traversé sans regarder et une voiture l’avait renversée. Elle me demandait paraît-il, et on avait appeler les secours.
Lorsque j’arrivais dehors, je vis un attroupement ; je m’approchais.
Virginie était allongée par terre. Elle voulait me parler, mais elle n’y arrivait pas, j’étais trop loin… Je vins plus près et je me penchais pour tenter de l’entendre. Mes yeux croisèrent les siens. Elle avait peur, pourtant paradoxalement une certaine plénitude traversait son regard.
Elle se souleva légèrement, ce simple geste lui demandait un effort immense. Je me rapprochais encore.
Elle leva sa main et la dirigea vers mon visage. Ses doigts arrivèrent sur mes lèvres, j’allais parler mais ses doigts m’en empêchèrent, ils balayèrent mon rouge à lèvres, ce fameux rouge à lèvres, toujours le même. Ses yeux s’illuminèrent, elle s’approcha, m’embrassa, et murmura :
· - J’ai été idiote. Je t’ai toujours aimé Sarah, mais j’avais peur… Je t’aime…
J’allais lui répondre quand les ambulanciers me demandèrent de m’écarter. Je n’arrivais pas à bouger, je la regardais. Comme elle était belle. Ils la mirent sur un brancard et l’emmenèrent. Elle me regarda, elle semblait heureuse…
Je demandais à monter avec elle, on me dit que je ne pouvais pas, et on me conseilla de rentrer chez moi. Je tendais dans l’urgence mon numéro de téléphone à un des ambulanciers, je voulais que l’on m’informe de la suite des événements. Puis, je m’effondrai sur le bitume en entendant l’ambulance partir toutes sirènes en marche. Je pleurais toutes les larmes de mon cœur, des personnes venaient me voir, essayaient de me réconforter, de me rassurer… Est-ce que je les connaissais, je n’en sais rien. Je n’entendais plus rien, je ne voyais plus rien… Puis au bout d’un moment j’eus l’impression que je n’avais plus de larmes.
Il me sembla reconnaître la jeune fille que j’avais quittée précipitamment, elle me prit par le bras et me ramena en voiture chez moi. Elle me dit que si j’avais besoin, elle était là… Je lui dis vaguement merci et elle partit sans que je n’eus rien à lui dire.
Une fois seule, je me déshabillais et jetais machinalement mes habits, était-ce vraiment les miens, à la poubelle. Je m’affalais nue sur mon lit, et me réfugiais sous ma couette les genoux contre la poitrine. Je portais mes doigts à ma bouche…. Je finis par m’endormir, mais mon sommeil fut agité. Des cauchemars liés à l’accident, puis de doux rêves dans lesquels Virginie et moi étions ensemble.
La sonnerie de mon portable me sortit de ces doux cieux…
Je décrochais. Une voix de femme, jeune, m’apprit que Virginie n’avait pas survécu. Elle avait prononcé mon nom, puis s’était évanouie dans l’ambulance et ne s’était plus réveillée…
J’étais en larmes, je raccrochais et je me recouchais…
Pendant près de huit jours, je ne sortis pas, je passais mon temps à dormir, je ne mangeais quasiment pas. Je me réfugiais dans le sommeil et dans mes rêves…
Mes rêves, ceux dans lesquels Virginie était encore vivante, dans sa robe à fleurs…
Et, c’est après un de ces rêves, un de ces rêves avec Virginie, dans lequel elle me parla, que je décidai de retourner à la vie, pour Elle, pour moi…
Ce jour là, je rappelais la fameuse fille, celle qui m’avait raccompagnée.
Nous nous sommes revues, nous sommes sorties ensemble, et maintenant nous habitons toutes les deux dans un joli appartement. Je vis, je suis heureuse. J’ai trouvé une femme que j’aime et qui m’aime. Qui m’aime pour ce que je suis vraiment, pour qui je suis vraiment…
J’ai constamment des souvenirs de Virginie qui resurgissent, j’en suis heureuse, je ne veux pas l’oublier. Mais parfois, j’ai ce goût de rouge à lèvres qui me revient dans la bouche…