Billy Robin présente la nouvelle n°15 :

 

Amélie ou comment s'en débarrasser

ou

Le chat qui proute...

 

 

Il m’est arrivé une étrange aventure le mois dernier. J’ai voulu me suicider. Comme tous les mois. Sauf que là, non seulement j’ai échoué, mais je me suis ridiculisé.

 

Cette fois, pour ne pas me rater, j’avais tout prévu. Fini les médicaments périmés, les pistolets rouillés, les couteaux mal aiguisés : j’ai sauté par ma fenêtre, du 2e étage.

 

Bien sûr 2 étages ça paraît ridicule, mais ça ne l’est pas tant que ça quand on ne mesure qu’un mètre trente cinq. Donc, j’ai sauté par ma fenêtre. L’ennui, c’est que je suis tombé sur la haie du gardien de l’immeuble, qui n’était pas très content du résultat obtenu sur son récent élagage : « ça coûte cher les pyracanthes, je vous enverrai la facture ! ».

 

Mon comportement idiotement héroïque m’a tout de même valu une jambe cassée et 6 côtes fracturées. Disons que ce sera un trophée de plus à arborer. J’ai dû passer la nuit à l’hôpital, en observation. J’adore les hôpitaux. Je m’y sens chez moi.

 

Le lendemain matin, à mon réveil, je trouvai l’endroit fort silencieux. J’appelai. Rien. Appelai encore. Toujours rien. Je pris donc mes béquilles, et décidai d’aller voir si je pouvais trouver quelqu’un dans les couloirs, malgré ce pesant silence. Rien.

 

Personne aux alentours. J’ai pourtant arpenté chaque coin de cet hôpital. Pas le moindre humain. Par bonheur, au bout de 3 heures de marche laborieuse, avec mes deux béquilles mal réglées, je trouvai un homme qui s’apprêtait lui aussi à quitter les lieux. C’était un balayeur manifestement. Puisqu’il avait un balai. Je lui dis : « où est passé le personnel ? où sont les patients ? » il me répond : « tous partis. L’hôpital est fermé. Désolé ». Sur ce, il passe la porte et s’en va d‘un pas décidé. Ainsi, il m’ont tous oublié dans ma chambre. Il faut dire que je suis arrivé à l’improviste. Je ne me formalise pas. C’est pas la première fois qu’on m’oublie.

 

Je retourne dans ma chambre, me recouche. Je passe un moment à ruminer mon prochain suicide. Puis une fringale me prend. Je me relève. Je sais parfaitement où sont les cuisines alors j’y vais et je trouve un frigo généreux, qui me tend mille victuailles soporifiques. Je prends une bonne part de fromage, du pain, des jus de fruits en brique et m’en retourne tant bien que mal à la salle de pause des infirmières avec mon sac en plastique bourré de provisions coincé entre les dents. J’ai toujours trouvé les salles de pause trop petites. Mais celle d’un hôpital est mille fois plus agréable que ma chambre de toutes façons. On voit le ciel et le jardin à travers une vraie fenêtre, qu’on peut ouvrir. Vraiment, comme si on allait se suicider à l’hôpital… surtout lorsqu’il et vide. Ce serait idiot : mieux vaut se suicider en couvrant ses arrières, et s’assurer d’avoir un sauveur à proximité. Et de toutes façons, je ne me suicide qu’une fois par mois. Pas plus.

 

Enfin assis, je tombe nez à nez avec un bouquin de poche, posé sur la table. Curieux, je l’observe au moment. Une drôle de bonne femme pose sur la couverture et me regarde d’un air ahuri :

 

AMELIE NOTHOMB  - STUPEUR ET TREMBLEMENTS

 

Tout en mangeant mon encas, nous nous regardons dans les yeux. Cette fille a l’air étrange. Je décide une fois mon repas terminé, d’emprunter le livre et d’aller le lire tranquillement dans ma chambre. Je le lis en une heure. Puis je m’endors.

 

Le lendemain, je retourne au frigo, pour trouver e quoi petit-déjeuner, et je me dirige ensuite dans la salle de pause, comme la veille, afin d’y déposer le livre. Sait-on jamais, son propriétaire va peut-être venir le récupérer. Et là : stupeur sans tremblements ! : je découvre un autre livre : Métaphysique des tubes, du même auteur, est posé sur la table. Je dépose donc le précédent livre (peut-être qu’un libraire dépose un livre de cet auteur chaque jour ici pour les internes de l’hôpital. Délicate attention du patron que de s’occuper de la culture de ses employés. Mais cette personne ne voit-elle pas que l’établissement est fermé ?). Après tout je ne me plaints pas. Je profite à cœur joyeux de ces lectures revigorantes. Je mange, et pars dans ma chambre afin de découvrir ce nouveau roman. Je m’endors.

 

Le lendemain, puis le surlendemain, la même chose se produit : Hygiène de l’assassin, Le sabotage amoureux, Mercure, Les catilinaires, Les combustibles, Cosmétique de l’ennemi, Robert des noms propres, Peplum, Attentat.

 

Ensuite, il ne s’est plus rien passé. Je veux dire  rien. Le vide. Plus un seul livre. Plus UN SEUL.

 

Je fus triste et à la fois plein d’espoir pendant une semaine. Priant chaque matin pour découvrir un autre roman. Puis un jour, comme une réponse à mon attente  je trouvai un article de journal m’informant qu’Amélie Nothomb n’éditait qu’un livre par an. Je me sentis soudain très proche d’elle : en effet quoi de plus louable ? Je me suicide bien qu’une fois par mois ! Trouvant l’adresse de l’auteur dans un de ses livres, je décidai de lui écrire.

 

« Chère Amélie,

Merci pour toutes ces lectures.

Ce fut un immense plaisir. Je

suis heureux d’avoir échoué tous

mes suicides. Cela m’a permis de

vous découvrir. Merci encore.

Amicalement,

Billy »

 

Mais c’était trop bête de lui faire ce simple courrier. Je décidai donc de lui offrir quelque chose mais ne trouvai rien d’original en ces lieux. Alors j’ai eu l’idée de lui fabriquer quelque chose. Ainsi, le cadeau aurait davantage de valeur. J’optais donc pour du parfum. Après tout, qu’y a-t-il de plus facile que de mieux à offrir à une femme qu’un parfum ? Et dans un hôpital, ils doivent bien avoir tous les ingrédients nécessaires à une telle fabrication !

 

En allant dans la pharmacie, j’étais sûr de trouver ce qu’il fallait à ma préparation.

 

Je pris diverses choses, divers produits que je pris soin de sentir plusieurs fois avant de les ajouter à ma mixture. Une fois le mélange terminé, j’avoue que j’étais assez fier de ma création. Ce parfum collait tout à fait à son regard. Ensuite, je n’eu aucun mal à trouver de quoi faire un colis, et des timbres en assez grande quantité.

 

J’ajoutai donc à ma lettre le PS suivant :

 

« Ci-joint, un petit présent pour vous. Veuillez excuser le contenant, le contenu est un parfum. Agitez-le avant de l’ouvrir. Il sentira encore bien meilleur j’en suis sûr. »

 

Je choisis l’occasion de poster mon colis pour faire mes adieux aux murs de l’hôpital. Cela faisait 5 semaines que je vivais dans cette grande maison blanche, pleine de couloirs. Et sans lecture, c’est un peu dur.

 

Je rentrai donc chez moi, et décidai de ne plus me suicider et d’attendre patiemment le prochain roman d’Amélie Nothomb. Trois jours plus tard, en écoutant les informations, j’appris qu’un certain Billy était recherché par la police, pour avoir assassiné Amélie Nothomb. En effet, celle-ci avait reçu un colis de cet homme,  lu la lettre puis ouvert un flacon après l’avoir secoué en faisant la danse du ventre. Ceci eut pour effet de faire exploser la fiole dans ses mains, et de la tuer sur le coup.

 

Depuis, je me suicide 2 fois par jour.

 

 

         

 

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